COMMUNICATION DE MONSIEUR JEAN PANHARD
CONCERNANT LA NAISSANCE DE L’INDUSTRIE AUTOMOBILE QUI EUT LIEU EN FRANCE ET PLUS PRECISEMENT
CHEZ PANHARD ET LEVASSOR EN 1890 - 1891
Lorsque je suis né, il y a bien longtemps, c’était en 1913, l’industrie automobile avait une vingtaine d’années et dès l’après-guerre de 1914, mon père, Paul PANHARD, dirigeant alors la Société PANHARD & LEVASSOR présidée par mon oncle Hippolyte PANHARD, je me suis trouvé plongé dans le monde automobile.
Je puis donc témoigner que dans mes premières années alors que l’histoire de l’automobile venait de commencer, personne ne contestait que PANHARD & LEVASSOR appelé encore « le doyen des constructeurs » soit l’ancêtre de l’automobile.
D’ailleurs Gottlieb DAIMLER, père du moteur à essence légère de pétrole, fondateur de la maison Daimler AG qui devint ensuite Daimler Benz n’écrivait-il pas à Emile LEVASSOR, le 9 février 1897, quelques semaines avant le décès brutal de ce dernier, survenu le 14 avril 1897 que « le développement de la question des automobiles est encore un peu en arrière en Allemagne, surtout en comparaison de ce mouvement en France, dont vous avez le mérite premier et supérieur bien connu ».
Emile LEVASSOR qui s’était associé dans la prospère affaire de René PANHARD en 1886, après l’y avoir rejoint dès 1872, écrivait, le 12 novembre 1890 à Monsieur DENEFFE, constructeur de moteurs à LIEGE (Belgique) :
« nous avons actuellement 30 véhicules en construction, déjà chez nous les commandes arrivent ».
Le 22 novembre 1890, il écrivait au même DENEFFE « nous commençons à fabriquer en série ».
L’industrie automobile est donc bien née en FRANCE chez PANHARD & LEVASSOR d’ailleurs suivi de près par PEUGEOT, la maison LES FILS DE PEUGEOT FRERES étant en relation d’affaires avec PANHARD & LEVASSOR depuis de nombreuses années.
Ceci était une évidence tant pour mon oncle, Hippolyte PANHARD (1870 – 1957) fils unique de René PANHARD, le fondateur, décédé en 1908, que de mon père Paul PANHARD (1881 – 1969) qui commença sa carrière chez PANHARD en 1903 et en devint le Président à la suite d’Hippolyte PANHARD en 1940 et ce, jusqu’en 1965, moi-même étant alors vice-président directeur général du doyen des constructeurs automobiles.
Cette antériorité mondiale a d’ailleurs été confirmée par de nombreux historiens tout au long du XXè siècle.
Ainsi :
- Pierre SOUVESTRE, dans son histoire de l’automobile (DUNOD, éditeur 1907) indique page 182 que Gottlieb DAIMLER en 1889, oriente plus particulièrement sa fabrication vers le moteur à pétrole pour bateaux, PANHARD et LEVASSOR, lui, entreprenant la construction de voitures.
Il poursuit page 185 « LEVASSOR conçut la première automobile homogène réellement digne de ce nom et de ce qualificatif » (en effet, il ne fallait pas confondre voitures automobiles et tricycles quadricyles à moteurs, véhicules intéressants certes mais qui relèvent des techniques vélocipédiques).
D’ailleurs, le marché ne s’y est pas trompé car ce type de véhicules a peu survécu à l’apparition de l’industrie automobile.
Enfin, il indique page 186, « nous verrons ultérieurement, le parti colossal que les deux associés de l’Avenue d’Ivry surent tirer de leur avance sur les concurrents éventuels qui devaient être d’abord pour la plupart des clients (à noter que la maison PEUGEOT était le premier client de PANHARD en moteurs, PANHARD ayant fourni PEUGEOT jusqu’en 1896).
Monsieur SOUVESTRE poursuit :
« le sage ordonnancement des affaires commerciales de la maison PANHARD et LEVASSOR nous fournira aisément les raisons de son extension toujours croissante ; les scrupuleuses études techniques qui s’y poursuivent sans cesse seront encore la légitime justification de leur réputation de première maison au monde… à tous les points de vue… »
- Jacques ICKX, dans son excellent ouvrage « Ainsi naquit l’automobile » (EDITA - Lausanne et VILO – Paris de 1971), ouvrage extrêmement bien documenté affirme page 186 « le démarrage de la production de Panhard et Levassor a été celui de l’industrie Automobile dont les années suivantes vont voir les premiers pas ».
- Christian H. Tavard qui en vue du centenaire de l’automobile en 1984 écrit tout un numéro spécial d’historia ou il affirme page 19 « il n’en reste pas moins que c’est Panhard et Levassor qui en effectuant une construction de série fut la première marque a commercialiser des voitures automobiles ».
- Jean-Louis Loubet qui écrit page 23 dans son histoire de l’automobile Française (édition du Seuil – 1980) « c’est justement cette même compréhension du progrès, doublée d’un solide savoir-faire industriel qui a permis à Panhard et Levassor d’entrer le premier dans la construction automobile ».
Cette antériorité avait d’ailleurs été reconnue par les dirigeants de Mercedes-Benz que j’avais rencontré à STUTTGART avant de le confirmer lors des cérémonies de la célébration des 100 ans de l’automobile en janvier 1986 auxquelles j’assistais au premier rang avec mon épouse.
J’observe que 120 ans après ces événements, des personnes communiquent sur ce sujet en prenant un peu de liberté avec la vérité historique, et c’est la raison pour laquelle au soir de ma vie bien remplie par l’aventure automobile, dans laquelle ma famille et moi-même étions fort impliqués, j’ai tenu à m’exprimer brièvement mais nettement à ce sujet en renvoyant également le lecteur au complément d’informations résultant de la note jointe.
Note achevée de rédiger le 5 février 2010, soit 120 ans après les débuts de PANHARD et LEVASSOR dans l’aventure automobile.
Jean PANHARD
• Président d’Honneur de l’Automobile Club de France
• Président d’Honneur de la Chambre Syndicale des constructeurs automobiles
• Président d’Honneur du Mondial de l’Automobile
NOTE COMPLEMENTAIRE
A LA COMMUNICATION DE JEAN PANHARD
EN DATE DU 5 FEVRIER 2010
On confond souvent l’existence de prototypes et celle de fabrication en série, laquelle d’ailleurs n’a pas non plus à se confondre avec la fabrication à la chaîne, initiée beaucoup plus tard par Henri FORD (1907). Les premières séries des automobiles américaines ayant été réalisées d’ailleurs non par Ford mais par Oldsmobile dès 1901.
Personne n’oserait soutenir que CUGNOT qui avait construit un engin autotracté à usage militaire en 1769 est le précurseur de l’industrie automobile.
Il en est de même de toute une série d’inventeurs dont beaucoup étaient des français tels que Delamarre Debouteville, Lenoir etc.
Certes, Carl BENZ avait réalisé quelques tricycles dès 1886 mais force est de constater que ces essais prometteurs ne furent pas suivi d’une véritable fabrication de tricycles ou de quadricycles en série, Jacques ICKX constatant dans son ouvrage qu’en 1890, Carl BENZ était dépourvu de clients, sur ses cinq tricycles fabriqués, trois étaient en panne… (p. 171).
Il faut également souligner que la confusion est très souvent faite entre tricycles – quadricycles qui relèvent du genre vélocipédique et véritables voitures automobiles. Dans son livre sur l’histoire de l’automobile, SOUVESTRE différencie bien le quadricycle de la véritable automobile.
Les modifications les plus importantes qui ont donné aux véhicules PANHARD & LEVASSOR le premier visage de l’automobile sont les suivantes :
1°) les vibrations et les distorsions du quadricycle provoquaient de mauvais effets mécaniques, c’est pourquoi LEVASSOR a opté pour la solution châssis qui est beaucoup plus rigide.
2°) l’allumage par brûleurs fonctionnait irrégulièrement, c’est pourquoi LEVASSOR a mis au point l’allumage par incandescence, brevet déposé par PANHARD et LEVASSOR, le 24 août 1891.
3°) le véhicule était mal équilibré avec son moteur au centre, LEVASSOR a réparti les organes mécaniques en ligne avec moteur à l’avant sur un second châssis et a abaissé le centre de gravité du véhicule.
Les tricycles et quadricycles relevaient bien de la famille vélocipédiques même si ils étaient animés par un moteur à essence légère de pétrole.
L’ingénieur, Emile DURANDEL écrivait en mai 1892 dans la revue « L’officiel de l’Automobile » :
« un des meilleurs système à moteurs à pétrole, le système Daimler fabriqué par la Maison PANHARD & LEVASSOR vient par l’intelligent ingénieur vélocipédique des fils de PEUGEOT FRERES, Monsieur RIGOULOT, d’être appliqué au cyclisme et peut être bien voilà t’il un commencement de petites révolutions dans le monde des cyclistes ».
René PANHARD, industriel bien établi dans la fabrication de machines-outils (machines à bois et depuis 1874, moteurs atmosphériques – brevet Otto et Langen, firme dans laquelle oeuvrait alors Gottlieb DAIMLER était convaincu que le transport individuel serait une révolution sociale et que les vaporistes (Bollée, Serpollet et de Dion) n’avaient aucun avenir.
Son associé Emile LEVASSOR, centralien comme lui, était plus difficile à convaincre, il aurait préféré développer la maison PANHARD & LEVASSOR en vendant uniquement des moteurs à des personnes qui oseraient se lancer dans la construction d’automobiles.
Mais poussé par son épouse et par René PANHARD, son associé, qui mit à sa disposition tous les moyens humains et financiers nécessaires, il s’employa dès 1890 à la mise au point de la première automobile PANHARD et c’est après des essais qui durèrent 18 mois environ et la mise au point d’un système d’allumage par incandescence du moteur PANHARD fabriqué sous licence Daimler qu’ils décidèrent de lancer pour la première fois au monde, une série de trente véritables voitures dont les six premiers exemplaires furent livrés en 1891.
Ces voitures étaient le résultat de développements techniques réalisés par PANHARD seul, (moteur à l’avant sur châssis, allumage, embrayage, transmission, différentiel et entraînement des roues arrières par chaîne).
Armand PEUGEOT, également centralien, se lançait aussi dans cette grande aventure en commandant ses moteurs chez PANHARD mais adoptant la solution quadricycle, technique avec laquelle il était plus familiarisé, la maison LES FILS DE PEUGEOT FRERES étant notamment des grands fabricants de cycles.
A ce titre, Armand PEUGEOT fabriqua trois tricycles à vapeur pour Monsieur SERPOLLET en 1890.
En 1890, PANHARD lui a vendu un moteur deux cylindres pour équiper un quadricycle et le 11 septembre 1890, LEVASSOR écrit à Daimler en lui demandant de venir à Paris pour voir, la voiture à quatre places mise au point par PANHARD & LEVASSOR et le quadricycle que PEUGEOT venait d’envoyer chez PANHARD pour mise au point car il ne marchait pas bien du tout.
Ce quadricycle PEUGEOT, le premier fabriqué par cette illustre maison, fut finalement vendu par PANHARD, le 9 juin 1891 à un suédois après qu’il eut été réparé par la maison PANHARD.
En effet, Armand PEUGEOT avait opté pour la solution quadricycle du type même de celui mis au point par Daimler qu’il aurait rencontré en présence d’Emile LEVASSOR, fin 1888 à Valentigney. Au cours de cette réunion de présentation d’Armand PEUGEOT à Gottlieb DAIMLER par Emile LEVASSOR, Gottlieb DAIMLER était venu avec un quadricycle prototype dont les performances étaient fort médiocres, le véhicule n’arrivant pas à grimper des côtes de plus de 3% !
Cependant, en s’inspirant de ce modèle, l’ingénieur RIGOULOT de chez LES FILS DE PEUGEOT FRERES réalise en 1891, un quadricycle performant puisqu’il se rendit de Valentigney chez PANHARD à Paris début septembre 1891 de façon à soumettre à son ami Emile LEVASSOR, sa réalisation. Ce dernier la trouva tout à fait réussie. Messieurs RIGOULOT et DORIOT purent ensuite accompagner la course de vélos Paris – Brest – Paris organisée par le Petit Journal.
Cet accompagnement eut lieu sans encombre et leur permit également de retourner à Valentigney après avoir accompli plus de 2000 kilomètres sans incident notoire en dehors d’une rupture d’embrayage qui fût réparée.
Les relations PANHARD ET LEVASSOR et PEUGEOT étaient étroites et confiantes, entre ingénieurs, ils s’envoyaient des plans, se déplaçaient chez les uns et chez les autres pour faire part de leurs expériences.
A tel point qu’Emile LEVASSOR ira jusqu’à intervenir par lettre du 27 octobre 1892 auprès de Gottlieb DAIMLER afin qu’Armand PEUGEOT puisse vendre ses propres voitures en Alsace où il avait de la famille (l’Alsace était alors annexée à l’Allemagne).
Emile LEVASSOR écrivait à son ami Gottlieb DAIMLER :
« de notre côté, nous déployons une grande activité, nous avons déjà plusieurs voitures en circulation qui toutes donnent de très bons résultats, nous avons, en outre, des commandes pour la saison prochaine et surtout beaucoup de demandes de renseignements.
D’autre part, la maison PEUGEOT qui a actuellement parfaitement réussi dans ses essais, veut aller de l’avant, en conséquence et c’est là le but principal de cette lettre, la maison PEUGEOT m’a demandé si elle pouvait livrer en Alsace etc. »
En résumé, les trois mousquetaires de l’automobile, PANHARD et LEVASSOR, Armand PEUGEOT et Gottlieb DAIMLER avaient intérêt à se serrer les coudes pour imposer au marché leurs réalisations (moteurs, quadricycles, automobiles) et ce, à une clientèle naissante tant en FRANCE qu’en ALLEMAGNE. Ce qui explique bien évidemment, la nature de leurs relations étroites et confiantes.
Pour conclure cette note de rappels historiques, la FRANCE peut être fière d’être le berceau de l’industrie automobile avec PANHARD et LEVASSOR et Armand PEUGEOT qui « embraya » aussitôt derrière PANHARD.
A ce jour, le Groupe PSA PEUGEOT CITROEN se trouve être le constructeur actuel le plus ancien du monde, il est d’ailleurs propriétaire de la marque Doyenne PANHARD et LEVASSOR par CITROEN interposé suite à la fusion de PANHARD avec CITROEN en 1965.
A ce titre, les archives PANHARD lui appartiennent, elles sont déposées au Musée National de l’Automobile collection Schlumpf à Mulhouse et les historiens peuvent s’y référer comme cela a été fait pour l’établissement de cette note historique.
Il n’est pas possible de conclure cette brève note historique sans rendre un hommage très particulier à Emile LEVASSOR qui fut comme l’a reconnu Gottlieb DAIMLER, le plus grand des pionniers de l’industrie automobile à tel point qu’un monument fut édifié à sa mémoire en 1907 à Paris – Porte Maillot et ce, pour immortaliser aux yeux du grand public, la mémoire de celui qui fut le VERITABLE PERE DE L’AUTOMOBILE.
Le 5 février 2010,
Pour être jointe à la communication de Monsieur Jean PANHARD.